Aller au contenu principal

Béraud, Coulmont. Les courants contemporains de la sociologie

Introduction

Manière concrète d'entrer dans la sociologie

Réfléchir, dès la rentrée, sur notre expérience étudiante à l'aide de la tenue d'un "journal de terrain"

Objectif: proposer un chemin possible dans cette forêt disciplinaire, semer quelques cailloux permettant de retrouver ensuite son chemin, et en découvrir d'autres.

La socio d'aujourd'hui en France s'est reconstruite: en 1945, elle n'existait plus, et à la fin des '60, elle est devenu une discipline de recherche et universitaire. Les sociologues FR ne l'ont pas reconstruite sur de grandes propositions théoriques, mais sur l'acquisition de compétences pratiques (stats, comptes-rendus d'observations, relevés divers, entretiens, méthodes inspirées de la psychologie...).

Ensuite le manuel débrouillage le terme d'"inégalités". La société est diversifiée, ses composantes (institutions, individus) sont disparates et peuvent être classées en fonction de principes de hiérarchisation -> les différentes positions ne sont pas équivalentes (différences de revenu, de diplôme) mais aussi les différences de position entre hommes/femmes, personnes perçues comme nationales/étrangères, inégalités fruits de la distribution inégale du pouvoir, de l'autorité, d'une relation de domination.

Objet central pour la socio, l'inégalité met en lumière les structures sociales, les régularités de l'action, les choix et les contraintes individuelles et collectives.

Comment agit l'homo sociologicus? En abandonnant l'idée que l'instinct guide l'homme, la socio doit trouver d'autres principes d'explication. Certaines propositions pour décrire/expliquer l'action en société:

  • la gestion stratégique, par un acteur, de contraintes.
  • la socialisation d'un agent dans des structures.
  • du jeu d'un acteur sur une scène.

La sociologie est-elle la sciences des structures sociales? Avec Durkheim, elle en prenait la direction, avec sa définition de la sociologie comme la "sciences des institutions", des "croyances et modes de conduite institués par la collectivité". Ici, le temps qui passe n'est pas central, contrairement à la permanence des structures. Mais cette définition est tronquée. Il définit aussi la socio comme la science de "la genèse" des institutions "et de leur fonctionnement".

Le manuel se termine par un regroupement de travaux publiés au cours des 10 dernières années. Constat: le processus d'individualisation se serait accéléré, les institutions seraient en déclin et les formes d'exercice de l'autorité se recomposeraient.

Nous ne pensons pas que la sociologie se résume à des objets, ni à des luttes théoriques séparées des enquêtes empiriques. C'est une institution sociales.

s'exercer à lire.

Lire un texte de socio, c'est parcourir un chemin, un sentier à l'exclusion des autres, mais la connaissances des autres chemins qui auraient été possibles, donne du sens à l'article. Le texte d'un sociologue prend sens quand on réussit à le mettre en relation avec d'autres textes.

1— La renaissance de la sociologie française (1945–1965)

«Sur 20 ans en France, la socio va être reconstruite. Des sociologues vont importer des méthodes de travail, dialoguer avec d'autres disciplines... Période qui est aussi importante pour la compréhension de la socio contemporaine que les 1^ères^ tentatives de construction d'une discipline universitaire au début du XXème siècle.»

1945, année zéro

En '45, au sortir de la 2nde GM, la socio FR n'a presque plus d'existence car le contexte sociale est à reconstruire la France. Portrait de cette sociologie en mauvais état:

  • les personnes rassemblées autour de Durkheim au début du XXè sont décédées/proches de la retraite.
  • l'école durkheimienne avait été un demi-échec: la socio n'a pas conquis son autonomie.
  • la socio est très faiblement implantée à la fin de la 2nde GM. Pas de diplôme/cursus de socio, les enseignements de socio font partie de la licence de philo, constituant un des 4 certificats.
  • apparaît en '45 pour les étudiants comme une forme vulgaire de philosophie appliquée.
  • les centres de recherche n'existent pas encore, à part des embryons comme le Centre de documentation sociale (1930) de l'ENS, mais n'a pas survécu à la guerre.
  • à partir de '45, l'épistémologie de la science sociale durkheimienne est contestée. Les courants intellectuels centraux (marxisme, existentialisme et personnalisme) sont vue comme antinomiques avec l'approche objectivante de Durkheim. Les savoirs dominants, en somme, sont non sociologiques.
  • fortes réticences de la force politique la plus importante de l'époque: le Parti communiste français (PCF). La description sociologique s'oppose au projet marxiste.

Ignorée par les intellectuels dominants, regardée avec soupçon par la plus grande force politique du pays, la socio a du mal à trouver sa place. Il reste toutefois quelques sociologues en '45: les "anciens" détiennent des chaires universitaires, venant d'autres disciplines (droit, psychologie...).

«La sociologie de ce temps ('55) est un monde clos où toutes les places sont assignées (...)» (Bourdieu, 2004)

Les "anciens": "patrons" de la sociologie FR de '45 à '65 -> Davy, Gurvitch, Stoetzel, Friedmann, Le Bras et Lévy-Bruhl, Aron. Ces patrons règneront pendant une petite 20ène d'années sur la discipline. Mais pas au sommet des hiérarchies universitaires, dans les années '50, la socio était l'objet d'un mépris de la part des étudiants philosophes de l'École normale supérieure. Pour ces étudiants, ces sociologues n'avaient pas choisi la sociologie, mais s'y étaient réfugiés après des échecs universitaires, ils apparaissent ainsi comme des marginaux dans l'université. Début '60, la génération des jeunes en ascension se partage la recherche et les pouvoirs selon une division en spécialités définies souvent par des concepts de sens commun: socio du travail, de l'éducation, de la religion, rurale, urbaine, du loisir etc. (Bourdieu, 2004)

Ces sociologues marginaux, sans être des sociologues de formation, sont rarement originaires de familles intellectuelles, la plupart viennent de milieux modestes. Ces "juniors" dépendent pour leur avenir et leur situation présente, des "patrons" plus âgés, qui se réservent les "grandes questions théoriques" et leur délèguent les questions empiriques de moindre importance. Cela contribue au découpage de la socio en domaines spécifiques qui se différencient par des objets de recherches (ville, campagnes, école...) qui ne remettent pas en cause les domaines théoriques des anciens.

Ces sociologues "juniors" connaitront une carrière plus rapides que leurs collègues d'autres disciplines: à partir des '60, ils bénéficient de la forte hausse des effectifs étudiants en sociologie.

La refondation

Regard rétrospectif: les "refondateurs" n'avaient pas pour projet la création d'une discipline universitaire: c'est la réunion d'une série de conditions institutionnelles et d'un ensemble de conditions intellectuelles qui permet cette refondation.

créer des institutions.

Refondation institutionnelle (pas de socio sans lieux de travail):

  • 1946: section de sociologie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
  • Centre d'études sociologiques (CES), CNRS. Statut réel incertain. Lieu de rencontre entre spécialistes de disciplines variées n'appartenant pas aux grandes instit. de la recherche appliquée.
  • 1951: l'Institut des Sciences sociales du travail (ISST), université de Paris. A contribué à édifier la socio du travail en branche forte de la socio FR.
  • 1953: Crédoc, centre de recherches et de documentation sur la consommation.
  • 1948: la VIè section "sciences économiques et sociales" de l'École pratique des hautes études (EPHE), instit. de recherche créée à la fin du XIXè siècle. En créant un lien entre sociologues universitaires et chercheurs, la VIè section (plus tard, l'EHESS), structure la socio FR.
  • Pendant la 2nde GM: l'Ined par Stoetzel, qui introduit au principe des enquêtes d'opinion sur échantillon, et la revue Population.
  • 1946: l'Insee, statistique générale de France, chargé de l'exploitation du recensement de la population. CSP (catégories socioprofessionnelles): une nomenclature, à la fois une typologie des professions, des status sociaux, et des modes de vie. Pas une création de sociologues mais le résultat d'un travail d'objectivation administrative.

des liens distendus entre recherche et enseignement.

Les liens entre l'enseignement universitaire et la recherche socio sont, avant la fin des '50, distendus. Les mêmes personnes cumulent direction du CES et chaires de sociologie. Mais les chercheurs n'ont pas de charges d'enseignement et sont coupés de la population étudiante.

«Or, je n'en disposais pas [des étudiants]. Je souffrais de la séparation complète, à l'époque, entre l'université et la recherche» (Crozier, 2002)

Il n'y a alors qu'un petit groupe d'étudiants se définissant comme "sociologues", ils se retrouvent au début des '50 autour d'une petite revue dont Robert Badinter en fut l'animateur.

créer des revues.

  • 1945: plus aucune revue de sociologie
  • 1946: Population, Ined ; Gurvitch crée les Cahiers internationaux de sociologie et contribuera à la relance de L'Année sociologique en 1949
  • 1956: Archives de sociologie des religions
  • 1959: Sociologie du travail
  • 1960: Revue française de sociologie, par Stoetzel, rival de Gurvitch ; les Archives européennes de sociologies, autour de Raymond Aron
  • 1961: Études rurales ; L'Homme

Collections créées dans plusieurs maisons d'édition: aux Presses universitaires de France, au CNRS.

À la fin des '50, deux manuels de Gurvitch et de Friedmann/Naville, viennent conclure 15 ans de refondation.

le financement de la recherche.

Entre '50–'60, des sources de financement qui iront en se diversifiant. Les sciences sociales en viennent à être perçues comme des aides possibles pour la décision politique et l'amélioration des conditions de vie. La planification éco/sociale devient un objectif étatique, devant être facilité par les travaux d'économistes, d'urbanistes, de sociologues.

Des courants?

Dans les '70–'80, la sociologie FR semblait être structurée autour de quelques écoles de pensée et 3, 4 mousquetaires. Situation différente dans les '50 où le petit groupe de sociologues partage un grand nombre d'orientation.

le marxisme comme soubassement théorique.

Le marxisme comme fonds commun de toutes les recherche, en concurrence avec l'existentialisme, car apparaît comme une possibilité de description scientifique du monde social. C'est aussi un fond commun politique. Comment se traduit cet attrait intellectuel?

  • par des engagements individuels: une grande partie des jeunes sociologues sont membres du PC.
  • utilisations dans le cadre des recherches: les sociologues du CES citent souvent Karl Marx, le philosophe allemand détient une place importante dans la formation universitaire/intellectuelle à l'époque.
  • apparaît comme transversal
  • par les sujets d'études: enquêtes portant surtout sur les ouvriers, petits employés. La classe ouvrière comme objet d'étude et comme classe révolutionnaire sont intimement conjuguées.

des recherches sur le monde ouvrier.

Dans les enquêtes d'après-guerre, le thème ouvrier est majoritaire (55% des articles), et transversal aux recherches: la religion des ouvriers, leurs loisirs, logement, opinions politiques. Résonances extérieures à la recherche: les chercheurs souhaitent parfois "aider" la classe ouvrière en lui donnant, par la recherche, les données qui lui manquent. Ce qui est appelée alors la "sociologie industrielle", la socio du travail à l'usine, est à l'origine d'un nombre important de monographies impulsées par Friedmann. La "formule de recherche" passe par l'enquête in situ, le recueil de données administratives, l'observation et la passation de questionnaires. Friedmann pousse les jeunes sociologues à observer le travail ouvrier, à y travailler un moment. Ces enquêtes ne sont pas "communistes", leurs résultats ne correspondent pas toujours aux propositions politiques du PC, ce dernier jugeant les sociologues de suspects, surtout quand les pratiques des chercheurs leur semblent "américaines".

l'enquête américaine.

Pour Chapoulie, l'Amérique constitue, avec la classe ouvrière, l'un des deux piliers de la refondation de la socio FR. La socio américaine apparaît comme un modèle de scientificité. Lazarsfeld, qui influence Stoetzel puis Boudon, fonde une sociologie basée sur les enquêtes statistiques et les applications pratiques: organisation en équipes de travail aux tâches définies/spécialisées (socio empirique "professionnalisée").

Grâce aux voyages d'études, les sociologues FR découvrent une sociologie émancipée de la philo universitaire. Stoetzel, Friedmann, Mendras et Crozier passent plusieurs mois aux US. Mais en '55, il était nécessaire de présenter la nouveauté des techniques américaines, pour les domestiquer, car les travaux US sont reçus avec méfiance depuis les engagements impérialistes américains (plan Marshall favorisant les importations culturelles)... La sociologie ne serait-elle qu'une nouvelle importation américaine?

Empirismes et objectivations

l'héritage durkheimien comme tradition anonyme.

des enquêtes empiriques.

sur l'importation et l'utilisation de nouvelles techniques.

l'importation de méthodes statistiques: la psychologie.

exemple d'enquête empirique: le catholicisme français.

l'héritage durkheimien comme tradition anonyme.

Au-delà et en quelque sorte en s'opposant aux critiques à l'égard de Durkheim, on peut penser que l'héritage durkheimien est devenu une "tradition anonyme", une série de pratiques et d'usages qui ne sont plus attachés à la figure d'un individu fondateur. Héritage perceptible d'abord dans les comparaisons que les chercheurs français font entre leurs projets et les productions de la sociologie US, qui leur apparaît comme ayant abandonné toute tentative d'explication du social par le social, les structures sociales semblent absentes, tout comme la référence à une totalité supérieure aux individus. Repérable aussi par les usages qui sont faits de notions développées par Mauss (Friedmann et Gurvitch: homme total, fait social total). Cet héritage se perçoit surtout dans l'usage permanent des outils stats.

des enquêtes empiriques.

L'empirisme est ce qui distingue les recherches des sociologues FR après la 2nd GM de celles d'avant-guerre. Des travaux souvent sans prétention théorique, simplement comme une mise en application de méthodes de recueil de données. Pourquoi choisir l'empirisme? Cette option a pu être suivie en FR comme "stratégie double", combinant conviction de gauche et recherche appliquée pouvant servir les enquêtés, comme tentative de combiner marxisme/importations américaines.

sur l'importation et l'utilisation de nouvelles techniques.

L'empirisme se décline en plusieurs facettes. D'abord les techniques statistiques. Dénombrements, dès le XIXème siècle par Quételet pour sa théorie de l'homme moyen. Au cours de la 1ère moitié du XXème siècle, Durkheim est une partie de ses héritiers ont embrassé certaines techniques stats. Cela dit, avant '45, toutes les séries stats utilisées ont des origines étatiques, institutionnelles ou administratives. La tradition durkheimienne ne prépare pas à l'interprétation de données récoltées sur le terrain ni au recueil de ces données elles-mêmes. Les sociologues ne construisent pas leurs échantillons, ils reprennent des données produites dans d'autres buts.

Après '45, une autre manière de faire de la sociologie apparaît. Les sociologues vont commencer à produire leur propres données, utilisant des échantillons, qu'ils étudient dans un second temps. Le développement de ces techniques est contemporain de l'importation en FR des techniques de sondage par Jean Stoetzel. Certains travaux du CES l'illustrent: on définit d'abord une population, à partir d'un critère. Par-delà la description, on cherche aussi à vérifier certaines hypothèses et on choisit les stats comme instrument de cette vérification.

Tous les chiffres n'ont donc pas la même origine. Les durkheimiens avaient utilisé des données ayant pour origine des dénombrements ou une certaine "objectivation" par certaines institutions (années '30). Dans les années '50, l'objectivation passe en partie par la constitution d'un échantillon et d'un questionnaire visant à valider certaines hypothèses. 2 techniques d'objectivation différentes: constituer des données à partir de réponses à un questionnaire pousse à la rupture avec une version de la sociologie durkheimienne en s'intéressant aux opinions des acteurs, en concevant la société du point de vue des individus.

La nécessité de la production autonome de données entre dans le "fonds commun" sociologique. Les enquêtes par questionnaire, les entretiens dans l'optique de les traites statistiquement, deviennent centrales dans la socio FR. Institutionnalisation de la socio et utilisation des démarches stats vont de pair. Simultanément s'éloignent les projets destinés à l'amélioration de la classe ouvrière: les commendes de l'État cherchant à comprendre la réalité sociale passent au 1er plan.

l'importation de méthodes statistiques: la psychologie.

Au sortir de la 2nde GM, les relations entre psychologie et sociologie sont permanentes. À une époque d'incertitude disciplinaire pour la sociologie, la psychologie fournit aussi des techniques et des méthodes.

La notion même d'"attitude", souvent utilisée par la socio d'après-guerre, est importée de la psychologie, dérivant de la notion d'"aptitude". Jean Stoetzel propose un lien étroit entre les notions d'attitude et d'opinion: "à la source des conduites concrètes", on trouvera des "attitudes" dont "l'expression verbale n'est autre que l'opinion". L'étude stat de l'opinion à travers des sondages est donc une enquête sur les attitudes, comprises comme l'origine des conduites. Mais, à la différence des psychologies, l'expression des opinions est pour Stoetzel une manifestation du statut social.

Ces importations font débat: Gurvitch critique le décalage entre l'opinion exprimée et l'attitude réelle. Les sondages ont des imperfections, mais il tient pour acquis le concept d'attitude et l'orientation méthodologique elle-même (=enquêtes empiriques par échantillon). Les sondages ont gagné.

exemple d'enquête empirique: le catholicisme français.

Une grande partie des enquêtes dans les '50 portaient sur le monde ouvrier. Les enquêtes sur le catholicisme illustrent encore mieux l'attrait pour l'empirisme. Le Bras, juriste, s'est tourné vers la socio dans les '30 afin de décrire objectivement la place du catholicisme dans la FR de son époque. Boulgé lui accorde un petit financement fin des '30. Le Bras s'inscrit alors dans une démarche hybride: d'un côté il s'appuie sur l'institution catholique pour recueillir des chiffres ; de l'autre, il cherche à transformer curés et évêques en assistants de recherche, en enquêteurs. Les enquêtes lebrasiennes procèdent d'un état d'esprit insistant sur la nécessité des enquêtes empiriques.

Conclusion

Dans les '60, l'intérêt pour les sciences sociales se développe. On passe d'une vingtaine d'enseignants du supérieur en socio en 1958 à 100 en 1968. Au milieu des '60, un premier cycle universitaire de sociologie (L1, L2) est créé. La recherche "sur contrat" prend son essor. Mais quelle est la place des sociologues? Parfois perçus comme des "déchiffreurs de tendance", ou des "analystes" des problèmes de la société industrielle. Pour Edgar Morin, les chercheurs avant étaient "crados", des marginaux dans l'univers académique. Désormais, ils ressemblent aux fonctionnaires et aux cadres.

2— Penser les inégalités

La question de l'égalité, passion des sociétés démocratiques selon Tocqueville, est une problématique classique de la socio, et son pendant: les inégalités capitalistes (Karl Marx). Question qui garde une actualité car les inégalités n'ont pas disparu: Piketty a montré comment les inégalités de richesse et de patrimoine réaugmentent dans les pays développés après une période de plus grande égalité.

«7 enfants de cadres sur 10 exercent un emploi d'encadrement (...). À l'inverse, 7 enfants d'ouvriers sur 10 demeurent cantonnés à des emplois d'exécution» (Peugny, 2013)

Problématiques qui se focalisent sur l'école pour 2 raisons:

  • stratégique: "au sein des inégalités sociales, les inégalités devant l'éducation revêtent un caractère spécifique: elles ne sont pas seulement une inégalité parmi d'autres (...). Elles sont aussi une courroie de reproduction des inégalités." (Duru-Bellat, 2002)
  • idéologique: l'attachement français au mythe républicain de l'école émancipatrice.

Reproduction ou inégalité des chances: les approches de Bourdieu et Boudon

En FR, les inégalités sociales quant à l'accès à l'enseignement, aux carrières scolaires, sont au cœur des travaux socio des années '60–'70. Bourdieu et Passeron mettent à jour des mécanismes de domination et de reproduction sociale, quand Boudon, fidèle au principe de l'individualisme méthodologique, insiste au contraire sur les stratégies des élèves et de leurs familles.

le contexte des années 1960.

Les 2 décennies qui suivent la Libération sont marquées par des changements éco/socio/culturels intenses qui s'accompagnent d'une mystique du progrès: croissance rapide et soutenue du revenue national, urbanisation, hausse taux de fécondité... 2 questions lient alors niveau d'éducation et croissance économique: le système scolaire fournit-il une main d'oeuvre suffisamment formée? La croissance éco permet-elle de réduire les inégalités de réussite et d'accès à l'enseignement secondaire/supérieur? À cette époque, à peine plus de 10% d'une classe d'âge accèdent au baccalauréat.

L'école s'impose comme l'observatoire privilégié des inégalités. Jusqu'au début des '60, l'objet de l'éducation a été largement désinvesti. Mais dans les '50, la séparation du système d'enseignement entre filière primaire-supérieur (enfants de milieux populaires) et lycée bourgeois est de plus en plus discutée dans les milieux intellectuels et politiques. Les pédagogues/psy se posent la question du "problème de la mesure des 'aptitudes' (intelligence) et de la fiabilité des examens scolaires/tests (docimologie)". Les sociologues ne s'en saisissent qu'au cours des '60.

En 1962, l'Ined conduit une enquête sur le devenir des élèves à la fin de la classe de CM2. Est mise en évidence l'influence de l'origine sociale des élèves sur leur orientation: du fait d'une réussite inégale selon les milieux (facteur déterminant: niveau culturel des parents, non leur revenu), mais aussi des projets plus ou moins ambitieux que leur famille nourrit à leur égard. Ces travaux vont marquer la socio de l'éducation car les résultats heurtent de plein fouet l'idéal méritocratique que l'école de la République est censée promouvoir.

Bourdieu: domination et reproduction.

La "relégation" scolaire des enfants de milieux populaires
Constat de départ: dans les '60, flagrant inégal accès à l'université en fonction de l'origine sociale. Au cours de la décennie où les effectifs augmentent, les écarts entre les CSP se maintiennent. Une véritable égalité des chances seraient que les proportions d'étudiants issus des diverses CSP correspondent à la part de ces CSP dans la population totale, conduisant à une répartition proportionnelle dans les diverses filières. Or, les étudiants de milieux pop. vont vers les facultés et lettres et de sciences, alors que ceux issus de milieu privilégiés se tournent vers les facs de médecine et de droit.

Dans Les Héritiers (1964), les auteurs remettent en cause 2 idées reçues:

  1. Il y aurait des élèves doués par nature. (=le succès scolaire attribué aux aptitudes innées, mérite individuel ; l'échec est vécu par les élèves de milieux populaires comme "destin personnel")
  2. Les obstacles de types économique permettraient d'expliquer la moindre réussite des jeunes issus de milieux populaires.

Pour Bourdieu et Passeron, l'origine des performances scolaires se trouve dans le milieu familial: le facteur déterminant pas à chercher que du côté des revenus, mais aussi dans l'inégal accès à l'information, et dans les déterminismes/dispositions hérités. La transmission de "l'héritage culturel", plus discrète/indirecte est ce qui fait la différence: dès lors, une politique d'allocation de bourse ne peut suffire à atteindre l'égalité des chances entre étudiants.

La culture savante, celle valorisée à l'école, est celle détenue par les milieux favorisés: la culture scolaire est une "culture de classe". Le niveau de langue, l'attitude à l'égard du savoir et les pratiques culturelles en font partie. Or, l'école ignore ces inégalités initiales alors que les jeunes n'ont pas tous la même chance de fréquenter des musées, expos selon leur origine sociale. Le système scolaire contribue alors à la légitimation, perpétuation des inégalités. Notion de "culture libre": la culture que l'école présuppose et exige "sans jamais la délivrer méthodiquement".

La Reproduction (1970): Complexifient leur appareil théorique. Introduction de concepts:

  • L'habitus qui précise les modalités de la transmission du capital culturel d'une génération à l'autre au sein de la famille.
  • La violence symbolique: la domination n'est pas perçue comme telle, intériorisée elle leur semble légitime et ils finissent par "s'autoéliminer". Les jeunes de milieux populaires anticipent leur échec et ainsi y contribuent.

Dans certaines sociétés, les positions sociales se transmettent de père en fils. Dans les sociétés démocratiques, ce n'est pas la naissance mais le mérite personnel qui doit permettre d'acquérir son statut social. C'est le diplôme, et non plus le capital éco, qui conditionne le statut social: on est passé d'un mode de reproduction familial à un "mode de reproduction à composante scolaire". L'école, en favorisant un certain héritage culturel, contribue à la reproduction des inégalités sociales d'une génération à l'autre: elle n'est pas neutre.

Après l'université, Bourdieu et Passeron analysent l'enseignement secondaire. Alors que l'accès au collège s'est banalisé, constat d'un "brouillage des oppositions entre les différentes jeunesses de classe". Pour autant, leurs chances réelles de réussite scolaire n'ont pas augmenté [les jeunes de milieux pop.]. La ségrégation persiste car les diplômes se sont dévalués: certains titres scolaires n'ont plus rien de distinctifs.

un schéma explicatif transposé à d'autres formes d'inégalités.
Pour Bourdieu, les rapports de domination s'exercent dans toutes les activités sociales. Ce sont toujours les mêmes mécanismes: les dominants imposent leur valeurs aux dominés, qui en les intériorisant, deviennent complices de leur propre domination, et contribuent à sa perpétuation. Dans La domination masculine, il développe le concept de violence symbolique, qui est d'autant plus efficace qu'elle n'est pas perçue comme telle, car opérant à travers les habitus des individus, leurs schèmes de perception, d'appréciation et d'action, qui suppose un "immense travail préalable".

Constat dans l'ouvrage d'une permanence de la division sexuée, et des "principes de vision correspondants": un "inconscient androcentrique". Cette permanence des "conditions" féminine et masculine est en fait le fruit de processus qui ont consisté tout au long de l'histoire à transformer l'arbitraire culturel en naturel.

Les institutions qui contribuent à la reproduction des rapports sociaux de sexes sont la famille, la religion, l'école, et l'État. Mais "le privilège masculin est aussi un piège": la domination est un poids pour ceux censés l'exercer, en se devant d'affirmer leur virilité.

controverses autour de La domination masculine
Les moyens d'action des féministes sont présentés comme inadaptés. Leurs critiques, focalisées sur la sphère domestique, se tromperaient de cible. La seule conscience et volonté ne suffisent pas à vaincre la violence symbolique. 2 écueils du féminisme: le féminisme universaliste (=prend comme universels des traits qui ne sont que des propriétés historiques de l'homme viril) ; la vision différentialiste (=n'échappe pas à l'essentialisme et fait alors l'impasse sur la dimension historique des rapports sociaux de sexe).

une sociologie du dévoilement.
Les mécanismes de dominant-reproduction sont présentés comme largement cachés aux individus. L'habitus fonctionne comme une "seconde nature", et la violence symbolique est "douce et invisible". L'analyse socio bourdieusienne a pour effet de dévoiler, révéler ces mécanismes (sociologie critique).

les critiques faites à Bourdieu.
Penser toutes les relations sociales sous la forme de la domination peut sembler réducteur. À la fin de LDM, Bourdieu pose la question de la suspension des rapports de domination au sein du couple amoureux ou entre amis.

Reproche sur sa conception trop déterministe des rapports sociaux. Un fataliste? Pourtant, Bourdieu et Passeron dans les Héritiers évoquent les moyens d'une démocratisation de l'enseignement. Mais, bien que les mécanismes de domination ne sont pas éternels, que la reproduction n'exclut pas le changement, Bourdieu n'est pas précis: la lutte doit se livrer principalement au niveau des catégories de pensée.

Boudon: l'inégalité des chances scolaires.

conclusion sur le binôme Bourdieu–Boudon.

Des approches plus récentes: exclusion et discriminations

Conclusion

3— Comment agit l'homo sociologicus

La théorie de l'habitus

Rationalité et stratégies

Situation et interaction

Les courants plus récents

Conclusion