Orianne. Petit précis de théorie sociologique
Introduction
Objectif: faire apparaître ce que la sociologie a de spécifique. Focale placée sur les concepts fondamentaux de la sociologie. Manuel d'intro à la théorie socio, construit en 7 leçons. Manuel adressée à des non-sociologues qui s'intéressent à la discipline.
Existe-t-il une théorie sociologique? La discipline se donne à voir comme fragmentée, éclatée en une multiplicité d'objets et de méthodes. Mais cette pluralité n'est pas contradictoire avec le projet d'esquisser les contours de la théorie socio, d'introduire à ce que la discipline a de singulier, unique dans le champ des SHS.
«Quelles sont donc les idées élémentaires de la sociologie, celles qui, plus que toute autre, caractérisent la sociologie par rapport aux autres sciences sociales» (Nisbet, 2006)
- Les intuitions des fondateurs d'une discipline naissance (Durkheim, Weber, Herbert Mead).
- Les synthèses théoriques de la sociologie classique (Elias, Parsons).
- Les critiques et développements contemporains (Garfinkel, Luhmann)
Si la socio se définit comme la science du "social", dès qu'il s'agit de préciser cet "objet", les choses se compliquent. Les sociétés, systèmes sociaux, ne sont pas composés d'individus, d'êtres humains faits de chair et d'os: elles ne se composent que de relations, de liens, d'échanges, d'un type bien particulier, en ceci qu'ils sont médiatisés par le langage. Quand Elias parle de La société des individus c'est la leur et non qu'ils la composent, comme un mur serait composé de pierres. C'est la leur, car c'est elle, la société, qui leur permet de se définir comme des individus, et de se comporter comme tels.
Les rôles sociaux sont les composantes principales des systèmes sociaux, et non les êtres humains qui utilisent ces rôles pour agir, pour "jour le jeu" (pro, citoyen, familial, etc.). Les sociétés ne sont pas des collections d'individus, mais des systèmes de signes, de symboles, de normes qui cadrent le déroulement du jeu que seule la partie en cours fait exister.
Il est d'usage en FR de présenter les fondements théoriques de la socio dans la mise en perspective/opposition caricaturale entre les 2 matrices franco-allemandes du savoir sociologique (Aron):
- Durkheim: sociologie positive (explicative ⫽ sciences naturelles) centrée sur les variables (quanti et déductive).
- Weber: sociologie compréhensive (interprétative ⫽ sciences historiques) centrée sur les cas (quali et inductive).
Inconvénient majeur de cette présentation: passer totalement à côté des fondements étatsuniens des sciences sociales. Le pragmatisme du "nouveau comme" comme alternative à l'idéalisme de la "vieille Europe". Figure emblématique du pragmatisme US: G.H. Mead.
En identifiant 3 ancrages nationaux à l'aube du XXème siècle, on verra comment ces pionniers se sont efforcés de rendre compte/convaincre de l'existence de cette réalité abstraite qu'est le "social", proposant une nouvelle manière de concevoir/appréhender l'être humain: homo sociologicus. Chaque fondateur en propose une version singulière: Durkheim c'est l'être moral ; Weber, un être culturel ; Mead, un être de langage.
2ème partie: théorie sociologique classique, donnant à voir la professionnalisation de la discipline au cours de la 2nde moitié du XXè siècle. Talcott Parsons. Les manuels de socio présentent généralement, en contrepoint du fonctionnalisme de Harvard (Parsons, Merton), l'interactionnisme de Chicago (Hughes, Becker, Freidson, Strauss, Goffman). À cette sociologie américaine de l'"ordre contingent" s'oppose une socio du "chaos déterminé" de Norbert Elias (théorie des processus) ≠ théorie des systèmes (Parsons).
1— Sociologie naissante: les intuitions fondatrices de la discipline
Tâche principale des fondateurs: comment observer, étudier, rendre compte de cette réalité abstraite/invisible qu'est le "social". L'idée originale fut de partir d'un de ses effets très concrets: l'homme moderne, construit en contrepoint de la figure d'_homo oeconomicus, théorie dominante issue des Lumières. La sociologie enfin, se construit en dialogue avec l'histoire, la théorie juridique, la philo, la morale, la pédagogie, la psychologie, la biologie.
Émile Durkheim. Une sociologie positive et critique: le fait social comme réalité sui generis
1858–1917: études de philosophie à l'ENS, puis des sciences sociales en Allemagne pendant 1 an. Thèse de doctorat à 35 ans: De la division du travail social (1893).
Dans Les règles de la méthode sociologique (1895), Durkheim fixe les principes philo/méthodo de la discipline. Définit le fait social à partir de 2 traits distinctifs:
- son extériorité par rapport aux consciences individuelles
- l'action coercitive qu'il exerce ou peut exercer sur ces mêmes consciences
«Voilà donc un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux: ils consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. (...) Ils constituent donc une espèce nouvelle et c'est à eux que doit être donnée et réservée la qualification de sociaux. (...) Notre définition comprendra donc tout le défini si nous disons: est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles.» (LRMS)
Sur ces bases, il donne quelques règles de méthode:
- L'observation des faits sociaux (II)
- traiter les faits sociaux comme des choses = de l'extérieur, objectivement.
- écarter de la science toutes les prénotions.
- grouper les faits sociaux d'après leurs caractères extérieurs communs, etc.
- La distinction du normal et du pathologique (III)
- le normal correspond à la moyenne (stats), comme en biologie.
- La constitution des types sociaux (IV)
- L'explication des faits sociaux (V)
- chercher séparément la cause efficiente qui produit le phénomène social et la fonction qu'il remplit.
- L'administration de la preuve (VI)
- La méthode comparative est la méthode de la preuve en sociologie: méthode des variations concomitantes permet d'établir le lien causal. "On n'explique qu'en comparant"
Théorie sociologique de Durkheim avec pour ambition de fonder la socio comme une science positive et critique. Fondée sur une double intuition:
- la vie sociale est une réalité sui generis (auto-générée): elle ne peut être confondue avec la réalité organique, ou psychique, qui lui sont extérieures.
- la vie sociale est fondamentalement morale: elle contraint les consciences individuelles.
de la division du travail social (1893): la thèse de la différenciation fonctionnelle.
Pourquoi le travail social? La division du travail n'est pas une simple division technique (Taylor, père de l'organisation scientifique du travail) mais une différenciation sociale (=spécialisation de chaque individu à une fonction/rôle bien précis au sein du corps social). La division du travail comme loi de la nature et règle morale de la conduite humaine.
Question à l'origine: quels rapports entretiennent la personnalité individuelle et la solidarité sociale? Comment l'individu, en devenant plus autonome, dépende plus étroitement de la société? Durkheim répond en distinguant 2 formes opposées de solidarité: la solidarité mécanique (=organisation sociale des sociétés "primitives" où les individus sont interchangeables: type segmentaire) ; la solidarité organique (=sociétés modernes où les individus sont différenciés).
Thèse centrale: l'individu n'est pas historiquement premier, il naît de la société et non pas la société des individus. Cette primauté du social sur l'individuel signifie une priorité historique, en opposition aux thèses "contractualistes" (Spencer, Smith, Mill).
Durkheim définit la conscience collective comme l'ensemble des croyances, idées et sentiments qui sont communs aux membres d'une société donnée. Dans le type différencié, la conscience collective est moins forte (contrôle social + faible), moins extensive et particularisée.
Quelle est la fonction de la division du travail? Pas de produire la civilisation (Comte), mais de créer de la solidarité. C'est la division du travail qui remplit le rôle que la conscience commune remplissait: c'est elle qui fait tenir ensemble les agrégats sociaux de types supérieurs.
«Sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité» (DDTS)
Comment vérifier l'hypothèse? La solidarité est un effet moral, difficile à observer, on prend alors un fait extérieur qui la symbolise, à travers les phénomènes juridiques car le droit est l'expression de la conscience collective (et de la solidarité). Il classe les règles juridiques d'après les différentes sanctions attachées en 2 espèces de droit: répressif et restitutif.
- le droit répressif sanctionne les fautes ou crimes (droit pénal). À l'origine religieux: la faute commise porte atteinte au sacré, au corps social, ce qui entraîne mécaniquement une punition.
- le droit restitutif (ou coopératif) remet les choses en état (dommages & intérêts) lorsqu'une faute a été commise, ou qui organise la coopération (droit administratif, constitutionnel, commercial).
Chaque espèce de droit correspondant aux 2 types de solidarité:
- la solidarité mécanique est une solidarité par similitude: les individus se ressemblent parce qu'ils éprouvent les mêmes sentiments, adhèrent aux mêmes valeurs...
- la solidarité organique où le consensus résulte/s'exprime par la différenciation des individus, par laquelle se réalise le consensus. Comme les organes d'un être vivant, ils ne se ressemblent pas mais remplissent chacun une fonction spécifique, et tous également indispensables à la vie.
Quelles sont les causes de la division du travail ou de la différenciation sociale? Une société "volumineuse" ne produit pas de différenciation. Durkheim retient 2 éléments: la densité matérielle (=le nombre d'individus sur une surface au sol donnée) et la densité morale (=l'intensité des communications et des échanges entres les individus) de la société.
«La division du travail varie en raison directe du volume et de la densité des sociétés (...) non que la croissance et la condensation des sociétés permettent mais qu'elles nécessitent une division plus grande du travail (...): c'en est la cause déterminante. (...) c'est que la lutte pour la vie y est plus ardente. Darwin a très justement observé que la concurrence entre deux organismes est d'autant plus vive qu'ils sont plus analogues. Ayant les mêmes besoins et poursuivant les mêmes objets, ils se trouvent partout en rivalité.» (DDTS)
La différenciation est une solution pacifique à la "lutte pour la vie" dans la mesure où chacun cesse d'être en compétition avec tous (idée que reprendra Elias dans son analyse du processus de civilisation).
Dans le Livre III, il étudie des formes anormales de la division du travail, où elle ne produit pas de solidarité. 3 formes pathologiques:
- les relations entre les organes ne sont pas réglementées (anomie, caractéristique majeure des sociétés modernes)
- la division du travail contrainte (imposée de l'extérieur, tient en échec la coopération)
- l'insuffisance de l'activité fonctionnelle de chaque travailleur (incapable de tenir son rôle)
La division du travail ne produit de solidarité que si elle produit en même temps un droit et une morale. Il faut alors maintenir un minimum de conscience collective pour éviter la désintégration du social dans nos sociétés modernes (organiques).
50 ans plus tard, Friedman pointera une contradiction logique: la solidarité est-elle une fonction de la division du travail (systématique) ou seulement un effet (à certaines conditions)? Enfin, la thèse durkheimienne lui apparaît idéalisé, la division du travail produit surtout de la déqualification ouvrière et de l'aliénation au travail.
le suicide (1897): une étude de cas.
Porte sur un aspect pathologique de nos sociétés modernes: l'anomie (=absence/désintégration des normes), soit le rapport des individus au groupe. Durkheim souhaite montrer à quel point les individus sont déterminés par la réalité collective. Les suicides sont des phénomènes individuels dont les causes sont essentiellement sociales.
Suicide.
: On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même et qu'elle savait devoir produire ce résultat. (LS)
Il cherche surtout à expliquer les variations des taux de suicides. En admettant une prédisposition psychologique au suicide, il souligne que sa détermination est sociale. Hypothèse explicative générale: plus la cohésion sociale diminue (baisse des croyances religieuses et des solidarités familiales), plus les taux de suicides augmentent.
«Nous pouvons constituer les types sociaux du suicide, en classant les causes qui les produisent. Nous chercherons les conditions sociales dont ils dépendent ; puis nous grouperons ces conditions suivant leurs ressemblances/différences en un certain nombre de classes séparées, et nous pourrons être certains qu'à chacune de ces classes correspondra un type déterminé de suicide.» (LS)
Sa typologie:
- le suicide égoïste: dû à l'absence d'intégration dans un groupe social, à une individuation excessive
- le suicide altruiste: dû à la dissolution de l'individu dans le groupe, à une individuation insuffisante
- le suicide anomique: typique des sociétés modernes, dû à une souffrance, irritation ou dégoût, qui naît de la disproportion croissante entre les aspirations/désirs illimités des individus et le degré de satisfaction réelle de ceux-ci
«Par conséquent, la seule façon de remédier au mal est de rendre aux groupes sociaux assez de consistance pour qu'ils tiennent plus fermement l'individu et que lui-même tienne à eux. Il faut qu'il se sente davantage solidaire d'un être collectif qui l'ait précédé dans le temps, qui lui survive et qui le déborde de tous les côtés.» (LS)
Il faut remoraliser la société par l'organisation de groupes professionnels, de corps intermédiaires entre les individus et l'État, qui favoriseront l'intégration des individus à la collectivité. Ni l'État, ni l'Église, ni la famille: seuls les groupes pro peuvent constituer ces foyers moraux de socialisation.
«Pour que l'anomie prenne fin, il faut donc qu'il existe un groupe où se puisse constituer le système de règles qui fait actuellement défaut. (...) Ce que nous voyons avant tout dans le groupe professionnel, c'est un pouvoir moral capable de contenir les égoïsmes individuels (...). Or, cet attachement à quelque chose qui dépasse l'individu, cette subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général est la source même de toute activité morale. (...) Une nation ne peut se maintenir que si, entre l'État et les particuliers, s'intercale toute une série de groupes secondaires qui soient assez proches des individus pour les attirer fortement dans leur sphère d'action et les entraîner ainsi dans le torrent général de la vie sociale.»
éducation morale: l'action régulée par des normes.
L'éducation est pour Durkheim une socialisation morale, méthodique de la jeune génération: elle vise l'intériorisation des normes d'une société. Il s'oppose à une conception idéaliste de l'éducation qui consisterait à permettre à l'individu d'atteindre le plus haut niveau de sa nature humaine (Kant) ou d'en faire un instrument du bonheur (Mill, Comte).
«L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné.» (E&S)
«Une règle, en effet, n'est pas seulement une manière d'agir habituelle ; c'est, avant tout, une manière d'agir obligatoire, c'est-à-dire soustraite, en quelque mesure, à l'arbitraire individuel.» (DDTS)
«Les règles morales (...) sont obéies parce qu'elles commandent. (...) Il est impossible que nous accomplissions un acte uniquement parce qu'il nous est commandé (...), il faut qu'il intéresse, en quelques mesure, notre sensibilité, qu'il nous apparaisse, sous quelques rapport, comme désirable.» (S&P)
Comment expliquer le caractère obligatoire de la norme sociale? Durkheim recherche les racines sacrales de l'autorité morale. Il retient 2 caractéristiques des faits moraux (la loi):
- le caractère impersonnel inhérent à l'autorité morale
- l'ambivalence du sentiment qu'elle déclenche sur l'acteur
De cette analogie structurelle entre sacré et morale, Durkheim conclut au fondement sacré de la morale.
«il y a des règles, appelées règles morales, auxquelles il nous faut obéir parce qu'elles commandent et qui nous attachent à des fins qui nous dépassent en même temps que nous les sentons désirables. (...) la société est la fin éminente de toute activité morale.» (S&P)
L'autorité du sacré est progressivement remplacée par l'autorité du consensus (droit révélé > droit pénal > droit moderne). Ce dernier se cristallise dans l'équivalence des intérêts privés et renonce à son caractère sacré ; cependant le remarquable formalisme des conclusions d'un contrat rappelle les fondements religieux du contrat.
les formes élémentaires de la vie religieuse (1912): une théorie sociologique de la connaissance.
Il propose une théorie générale de la religion. Idée directrice: il est légitime/possible de fonder une théorie des religions "supérieures" sur l'études des formes "primitives" de la religion (selon une perspective évolutionniste). Le totémisme révèle l'essence de la religion et constitue une des formes les plus élémentaires de la vie religieuse. Qu'est-ce que la religion? Pour Durkheim, ce n'est pas la croyance en un dieu transcendant qui constitue le fondement du phénomène religieux. Non plus par les notions de mystère ou de surnaturel, qui sont plus récentes, car il n'y a de surnaturel que par rapport au naturel, et pour penser le naturel, il faut déjà penser de manière positive (scientifique). Pour lui, l'essence de la religion est la division du monde en phénomènes sacrés et profanes.
Le concept d'institution s'en trouve transformé: il ne désigne plus un ensemble de contraintes/sanctions ; l'institution est le sacré, une idée, une vision du monde, une di-vision bipartite de l'univers.
«Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent.» (LFEVR)
L'essence de la religion est le sacré, et seule la société est une réalité sacrée par elle-même: elle est à la fois la cause et la justification du phénomène religieux.
«nous avons vu que cette réalité, que les mythologies se sont représentée, mais qui est le cause objective, universelle et éternelle de ces sensations sui generis dont est faite l'expérience religieuse, c'est la société.» (LFEVR)
L'objet de la religion n'est rien d'autre que la société "transfigurée".
«C'est donc l'action qui domine la vie religieuse par cela seul que c'est la société qui en est la source. On peut donc dire, en résumé, que presque toutes les grandes institutions sociales sont nées de la religion. (...) Si la religion a engendré tout ce qu'il y a d'essentiel dans la société, c'est que l'idée de la société est l'âme de la religion.» (LFEVR)
L'interprétation du phénomène religieux est celle d'une force anonyme et diffuse, supérieures aux individus qui constitue l'objet du culte: les hommes adorent leur société sans le savoir. Les sociétés sont portées à créer des divinités ou des religions quand elles sont dans cet état d'effervescence qui résulte de l'intensité extrême de la vie collective.
Cette étude du phénomène religieux pose les bases essentielles d'une théorie sociologique de la connaissance: selon Durkheim, c'est la vie collective qui permet de rendre compte de la formation des concepts et des catégories de pensée (la distinction profane/sacré...)
«Les représentations religieuses sont des représentations collectives qui expriment des réalités collectives. (...) Les catégories ont, en effet, pour fonction de dominer d'envelopper tous les autres concepts: ce sont les cadres permanents de la vie mentale.» (LFEVR)
Si les concepts doivent être considérés comme le "fruit" de la vie collective (une représentation que la société offre d'elle-même et du monde), il va sans dire que cela concerne aussi les concepts sociologiques. Mais Durkheim ne tirera pas toutes les conséquences épistémologiques de cette découverte. Comment est-il possible d'observer de l'extérieur (objectivement) une réalité sociale qui ne se donne à voir qu'au travers de notions et de concepts qu'elle produit elle-même?
Max Weber. Une sociologie compréhensive et critique: le sens de l'action sociale
1864–1920, naît en Allemage d'un père juriste d'une riche famille d'industriels et de négociants en textiles. Études de droit, mais aussi économie, histoire, philo, théologie. Tout au long de sa vie, Weber a été marqué par un déchirement intérieur que l'on perçoit dans la tonalité souvent tragique de ses thèses sur la modernité: tensions existentielles entre nostalgie religieuse et exigence scientifiques, entre foi et nécessité, entre science et action, entre métier de professeur et celui d'homme politique.
Son oeuvre peut être considérée comme une tentative de synthèse et de dépassement, au sein de la socio allemande naissante, de l'opposition entre l'école systématique/analytique (Tonnies, Simmel, Von Wiese, Vierkandt, Spann) et l'école historique (Mannheim, Oppenheimer, Lukacs, Adler, Scheler). On peut classer les travaux de Weber en 5 catégories:
- Le traité de sociologie générale (Économie et Société)
- Les études de méthodologie, de critique et de théorie philosophie (Essais sur la théorie de la science)
- Les études de socio historique: analyse des processus de rationalisation
- Les travaux de sociologie des religions: analyse comparative des grandes religions et de l'action réciproque entre les conditions éco, les situations sociales et les convictions religieuses (Éthique protestante et esprit du capitalisme et Sociologie des religions)
- Les écrits politiques
économie et société
Dans ce traité de socio générale, des concepts principaux occupent la 1ère partie: action sociale, communauté, société, pouvoir, domination. L'intuition originale de Weber est de fonder la sociologie comme une science compréhensive de l'action sociale. Son "objet" n'est ni la société, ni l'individu, mais l'action, qui est à la fois intentionnelle et influencée par autrui (=pétrie de significations multiples). Met l'accent sur une question essentielle en sciences sociales: celle du sens, ou de la capacité des êtres humains à produire et interpréter des significations.
La sociologie et le sens de l'action sociale
La sociologie comme science de l'action sociale: elle vise à comprendre le sens par interprétation et à en expliquer le déroulement et les effets.
- Comprendre: c'est saisir les significations
- Interpréter: c'est organiser, par des concepts, le sens subjectif
- Expliquer: c'est mettre à jour les régularités de conduite
Weber définit l'action (activité) sociale comme un comportement humain intentionnel (=auquel l'acteur lie une certaine signification) qui se rapporte au comportement d'autres personnes (=influencé par autrui).
«Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'activité sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets. Nous entendons par "activité" un comportement humain quand et pour autant que l'agent(s) lui communiquent un sens subjectif. Et par activité "sociale", l'activité qui, d'après son sens visé par l'agent(s), se rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel s'oriente son déroulement. Dans tous ces cas, "comprendre" signifie saisir par interprétation le sens ou l'ensemble significatif visé (...)» (É&S)
Les déterminants de l'action sociale Distinction entre 4 types d'action (ou déterminants de l'activité sociale):
- L'action rationnelle en finalité: mûrement réfléchie (calculée), en fonction de moyens pour atteindre des fins.
- L'action rationnelle en valeur: conforme à une norme (un impératif, exigence, conviction).
- L'action affective: dictée immédiatement par l'état émotionnel.
- L'action traditionnelle: dictée par les habitudes, les coutumes, les routines.
L'orientation rationnelle en valeur peut avoir avec l'orientation rationnelle en finalité des rapports très divers: celui qui agit en finalité n'opère ni par expression des affects, ni par tradition. Pour Weber, il n'existe pas de type "à l'état pur" dans la réalité sociale, l'activité réelle combine ces diverses orientations.
Communauté et société: deux processus d'intégration
L'action sociale présente/possède des propriétés intégratives. Le processus d'intégration des acteurs peut aboutir à créer soit une société (=la motivation des actions sociales constituée par des liaisons d'intérêts ou de règlements d'intérêts: intégration rationnelle par rapport à un but) soit une communauté (=le fondement du groupe est un sentiment d'appartenance collective dont la motivation est affective ou traditionnelle). Malgré des différences, certaine proximité entre ces 2 processus d'intégration et les 2 types de solidarité chez Durkheim.
Les types de domination légitime
Le pouvoir.
: La possibilité de contraindre le comportement d'autrui à sa propre volonté (concept d'influence). La domination est un cas particulier d'une relation de pouvoir qui se caractérise par la possibilité/chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé (concept d'autorité).
Typologie des formes de domination légitime:
- la domination rationnelle, fondée sur la croyance en la légalité des ordonnances/titres de ceux qui exercent la domination (exemple: république). L'État moderne dispose du monopole de la contrainte physique (violence) légitime, fondée sur cette rationalité légale-bureaucratique.
- La domination traditionnelle, fondée sur la croyance dans le caractère sacré des traditions anciennes (cas d'une monarchie de droit divin).
- La domination charismatique, fondée sur le charisme, sur la croyance en la valeur exemplaire d'une personne (chef charismatique).
«La domination comme la chance de trouver obéissance de la part d'un groupe déterminé d'individus. (...) Dans le cas de la domination statutaire, on obéit à l'ordre impersonnel, objectif, légalement arrêté, et aux supérieurs qu'il désigne (...). Dans le cas de la domination traditionnelle, on obéit à la personne du détenteur du pouvoir désigné par la tradition (...) Dans le cas de la domination charismatique, on obéit au chef en tant que tel». (E&S)
Weber esquisse 4 types d'action et seulement 3 types de domination. Pourquoi n'y a-t-il pas de correspondance entre ces deux typologies?
| Type d'action | Type de domination |
|---|---|
| Rationnelle en finalité | Domination rationnelle-légale (bureaucratique) |
| Rationalité en valeur | |
| Conduite traditionnelle | Domination traditionnelle |
| Conduite affective | Domination charismatique |
On trouve aussi dans ce traité, l'esquisse d'une typologie distinguant 2 formes de légitimité rationnelle: rationnelle en valeur et rationnelle-légale.
«Les agents peuvent accorder à un ordre une validité légitime: en vertu de la tradition ; en vertu d'une croyance d'ordre affectif ; en vertu d'une croyance rationnelle en valeur ; en vertu d'une disposition positive, à la légalité de laquelle on croit.» (E&S)
théorie de la science.
Une sociologie compréhensive
Les sciences sociales présentent 3 caractères originaux qui les distinguent des sciences de la nature, elles sont:
- compréhensives,
- historiques,
- portent sur la culture (les valeurs),
Le concept de causalité
Le concept d'idéaltype